20 ans après : L’égalité des droits ou l’illusion des chances ?
Eugène Henri Moré
Président de Coeur de France
10/02/2025
Le 11 février 2005 marquait une étape majeure pour les droits des personnes en situation de handicap avec la promulgation de la loi sur l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.
Cette loi représentait un immense espoir : celui d’une société inclusive où chaque citoyen pourrait accéder à ses droits fondamentaux sans entrave ni discrimination.
Mais 20 ans plus tard, force est de constater que cet espoir s’est heurté aux limites de sa mise en œuvre.
Une loi sans moyens : l’égalité à géométrie variable
Adoptée à l’unanimité, cette loi a permis de consolider les droits des personnes en situation de handicap. Pourtant, elle est restée largement déclarative.
Privée de moyens financiers et humains suffisants, sa mise en œuvre reflète les carences d’un système inégalitaire.
Les disparités territoriales sont particulièrement marquantes : l’application de la loi repose souvent davantage sur la volonté politique locale que sur un engagement national cohérent.
Résultat ? L’égalité des droits demeure théorique pour une grande partie des personnes concernées. L’accès à l’éducation, à l’emploi ou encore à des infrastructures adaptées reste semé d’embûches, et les discriminations continuent de prospérer.
Des promesses non tenues : un mensonge organisé
L’incapacité chronique de mesurer les actions annoncées témoigne d’un décalage inquiétant entre discours et réalité. Concrètement, les moyens mobilisés sont insuffisants, rendant l’échec prévisible dès le départ.
L’illusion de succès, savamment entretenue, vise à rassurer l’opinion publique en lui faisant croire que des progrès sont réalisés, alors que sur le terrain, les retards s’accumulent. Le droit commun, censé garantir les mêmes droits pour tous, échoue à répondre aux besoins spécifiques des personnes handicapées.
Cette situation révèle une rupture d’égalité. Elle interroge notre République et nos outils démocratiques sur leur capacité à garantir une égalité réelle, et non simplement formelle.
Pouvait-on se douter de cet échec ?
Oui, dès sa conception, cette loi portait en elle les germes de ses propres limites.
La notion d’égalité des chances, mise en avant, s’accorde mal avec celle de droit.
Dès le départ, il s’agissait d’une manière habile d’éviter de nommer les discriminations flagrantes dont sont victimes les personnes en situation de handicap.
En parlant d’égalité des chances, ne sous-entend-on pas que ces discriminations relèvent du hasard ou de la malchance, et non d’actes délibérés et répétés d’un système structurellement inégalitaire ?
Il faut le dire clairement : les discriminations subies par les personnes en situation de handicap, qu’elles soient le fait d’acteurs privés ou de l’État lui-même, ne sont ni fortuites ni inévitables. Elles sont le produit d’un système qui tolère, voire reproduit, ces inégalités en toute connaissance de cause.
L’enjeu n’est pas de leur donner une “chance” d’accéder à leurs droits, mais bien de leur garantir un accès équitable à ces droits fondamentaux.
Pour une véritable égalité : des conditions indispensables
Construire une égalité réelle exige un changement radical, fondé sur trois piliers essentiels:
1. Un engagement politique sincère : Les droits des personnes handicapées ne doivent pas être réduits à des promesses électorales ou à des actions ponctuelles.
2. Des moyens financiers et humains adaptés : Aucun progrès ne peut être espéré sans un investissement conséquent, pérenne et à la hauteur des besoins.
3. Rendre les acteurs responsables devant la loi : Au-delà de la sensibilisation et de la formation, il est indispensable que les acteurs publics et privés soient pénalement responsables de leurs manquements. Ce n’est qu’en imposant des sanctions claires que les mentalités et les pratiques pourront réellement changer.
Construire l’égalité, ne pas la promettre
L’égalité des droits ne peut être un slogan ou une posture. Elle doit se concrétiser par des actions mesurables, des ressources allouées et un contrôle citoyen constant pour garantir son application.
20 ans après la loi de 2005, il est temps de dépasser les intentions et les actions sporadiques pour entrer dans une véritable logique de transformation.
Une société inclusive ne se construit pas sur la bonne volonté ou la chance, mais sur des engagements fermes, des moyens concrets et une volonté politique forte.
L’histoire nous enseigne que sans loi, aucun progrès n’est possible.
Mais une loi sans moyens n’est qu’une illusion.
Cessons de parler d’égalité des chances.
Parlons enfin d’égalité des droits et d’équité.
Car une nation qui ne garantit pas ces principes fondamentaux à tous ses citoyens échoue à se montrer digne de ses propres valeurs.
