MOI AUSSI J'AI MAL À MA FRANCE

Eugène Henri Moré

Président de Coeur de France

07/07/2023

J’écris cette tribune, car je suis investit dans ce que l’on appelle les « quartiers difficiles » depuis 40 ans : d’abord dans le mouvement associatif, puis comme prof, comme élu ou consultant.

Le sujet des territoires politique de la ville est bien connu depuis des dizaines d’années. Dès l’origine, elle portait en elle les germes de son échec. Pourtant, à ce jour, rien d’efficace n’est venu corriger ce mauvais départ … Bien au contraire, puisque les voix dénonciatrices ont été étouffées laissant place au bal des hypocrites.

Un changement radical dans la manière d’appréhender cette problématique n’a jamais été aussi nécessaire. Pourtant les actions que nous mettons en oeuvre sont continuellement loin d’être à la hauteur des enjeux. Comment expliquer cette inertie ? Pourquoi regardons-nous ailleurs depuis des dizaines d’années face à une catastrophe annoncée et la perspective de l’effondrement de notre modèle Républicain ?

Durant toutes ces années, nous avons eu tendance à segmenter ces territoires du reste du pays feignant d’oublier que ces territoires sont aussi la France que créer une partition au sein du territoire national c’est renoncer de fait à son principe d’indivisibilité, rendant par la même le « corps France » malade.

Le drame de Nanterre n’est pas un cas isolé et malheureusement, cela devient une récurrence. Une certaine jeunesse subit les dérives (contrôles abusifs et arbitraires), les bavures de certains policiers de manière routinière sans que ces comportements ne soient sanctionnés, bien au contraire, ils sont couverts. C’est comme cela que l’on encourage des pratiques illégales, loin de l’éthique Républicaine.

Notre échec à faire vivre la République partout et pour tous, l’échec de nos politiques publiques nous ont conduits à oublier des territoires, à exclure des populations et à abandonner certaines de nos institutions.

Pour ce qui est du 27 juin 2023 cela a conduit à un drame à Nanterre laissant deux familles dans la peine.

Malheureusement lorsque que je vois les nombreuses actions mises en oeuvre de part et d’autre, que je décrypte les débats ou commentaires ici ou là, ce qui m’interpelle, ce sont les intentions des auteurs qui trop souvent prêchent pour leur paroisse cherchant dans ce drame, tels des charognards, un intérêt personnel. Nous sommes loin du nécessaire respect envers les deux familles et du recul que chacun se doit d’observer après un pareil drame. Les attitudes, les réactions républicaines sont en effet rares. j’ai le sentiment que c’est le prétexte pour deux camps qui s’affrontent depuis toujours d’en rajouter et par la même d’approfondir le fossé qui empêche la cohésion sociale.

La façon dont ce drame est instrumentalisé pour déplacer la problématique, ou surfer dessus pour se faire un nom ou pire, pour diviser, me désole.

Quels sont les termes du débat ? Une minorité de jeunes essentiellement des mineurs qui manifestent leur besoin d’existence même virtuelle et éphémère par des actes de vandalisme. Une minorité de policiers qui profitent du laisser-faireet de la perte de sens de leur hiérarchie pour abuser de pratiques illégales. Pour moi, il n’est pas envisageable d’amalgamer cette minorité de jeunes à l’ensemble de la jeunesse de ces territoires comme il n’est pas envisageable d’amalgamer une minorité de policiers avec l’institution police. Je n’amalgame pas non plus la couverture de nombreuses bavures par une certaine hiérarchie avec l’institution police. La police, c’est la République. La République est vivante et c’est à nous de la garder en vie. Malheureusement, de nombreuses institutions sont gangrenées par des incompétents, ce qui profite a ceux qui, malgré leur appartenance à ces institutions républicaines, ne respectent aucunement les valeurs de notre République.

Pour ce qui est de la Politique de la ville, comment en sommes-nous toujours là, à parler de ce sujet quand des minorités passent à l’acte ? Quand allons-nous prendre en compte le déficit de moyens dont souffre l’immense majorité de la population de ces territoires, ainsi que la nécessaire réforme structurelle de nos institutions publiques, notamment celles de l’éducation nationale et de la police ?

Comment, par le truchement médiatique, une minorité de personnes en complet décalage avec les aspirations simples des habitants des territoires oubliés de la République, est devenus la porte-parole malgré elle des habitants de ces quartiers? Simplement car la violence est privilégiée dans le traitement médiatique, surtout lorsqu’il s’agit des territoires oubliés de la République.

Il y a un petit entre-soi qui fabrique et impose sa réalité et le reste des Français se construisent leur réalité au travers de ce prisme et ce contrôle.

Le mauvais traitement médiatique des sujets liés à la politique de la ville nuit au débat démocratique. Combien de supports médiatiques sont revenus aux sources de la difficulté ? Combien ont pointé les réelles responsabilités plutôt que de s’attacher à commenter les conséquences ? Nous demeurons dans l’erreur parce que nous refusons depuis toutes ces années de nous attaquer à l’architecture sociale inégalitaire en oeuvre, préférant répondre médiatiquement aux émotions du moment.

Les récents événements n’échappent pas à la règle, maintenant que la fièvre est retombée, visiblement l’urgence est toujours de répondre à l’émotion du moment, de « traiter » les effets et non les causes. Le passé ne nous enseigne donc rien ?

On peut lutter contre les conséquences, mais si on ne tarit pas la source, le problème persiste et s’aggrave. La petite caste politico-médiatique s’est murée dans une croyance qui les dédouane de leurs responsabilités et qui fabrique au passage des coupables idéaux.

Mais peut-on être responsable de rien et coupable de tout ? Comment a-t-on pu laisser une politique au cœur des enjeux sociétaux de notre république être pilotée par de pareils incompétents toutes ces années ? Dans quel autre domaine et pour quel autre sujet crucial aurions-nous accepté un tel manque de compétence ? C’est comme laisser des enfants jouer avec un briquet au milieu de barils de poudre.

Oui, nous devons rétablir l’ordre, à commencer par supprimer cette politique publique qui est la politique de la ville qui a échoué dans toutes ses dimensions ; rétablir l’ordre dans la manière ou la presse majoritaire traite ce sujet ; rétablir l’ordre dans la réforme des politiques publiques pour stopper les exclusions, les replis identitaires, développer l’emploi et l’apprentissage citoyen.

L’enjeu n’est pas uniquement de sortir ces territoires de l’oubli, c’est surtout celui de la défense des valeurs de notre République.